En moins de 50 ans, les Européens devaient accomplir une véritable révolution géographique en se lançant à l'exploration de la Terre. À partir de la dernière décennie du XVe siècle, ils allaient se risquer sur des mers inconnues, découvrir le Nouveau Monde et faire le tour du globe.
Commencée avec le premier voyage voyage de Christophe Colomb en 1492, l'ère des "grandes découvertes" se poursuivit avec Vasco de Gama qui doubla le cap de Bonne Espérance en 1497 et atteignit Calicut, en Inde, en 1498, puis avec Pedro Alvarez Cabral qui découvrit le Brésil en 1500, et avec Jacques Cartier qui remonta le Saint-Laurent en 1534. L'un des "sommets" de cette formidable épopée fut le premier tour du globe entrepris en 1519 par Magellan.
Petite nation maritime située à l'extrémité occidentale du Vieux Monde, la Bretagne qui possédait vers 1500 une des premières flottilles d'Europe - 20 000 marins et plus de 1 800 bateaux, dont beaucoup de caravelles - aurait pu jouer un grand rôle dans cette épopée si elle n'était pas tombée au même moment sous les coups de son puissant voisin continental. La désastreuse guerre avec la France, de 1486 à 1488, s'acheva en effet par la terrible défaite militaire de Saint-Aubin-du-Cormier, l'occupation du pays, l'écroulement de son pouvoir politique et bientôt le rattachement à la France, engagé par deux mariages et consacré officiellement par l'édit d'Union de 1532. De ce fait, la Bretagne en tant que telle n'allait jouer aucun rôle dans les grandes découvertes et le royaume de France, peu sensible au fait maritime et bientôt déchiré par les guerres de religion, n'allait pas avoir tirer vraiment profit du formidable atout que constituait pour lui désormais la possession de la Bretagne.
En revanche, à titre individuel, de nombreux Bretons furent mêlés à cette grande aventure : des marins-pêcheurs de la côte nord de la Bretagne commencèrent à fréquenter chaque année les bancs de Terre-Neuve dès les années 1490; des navires de la région de Saint-Pol-de-Léon commencèrent à trafiquer avec les Indiens du Brésil en même temps que les Portugais; des pilotes bretons furent employés par des navires espagnols partis explorer les côtes d'Amérique du Nord et des marins bretons participèrent à plusieurs grandes expéditions de découverte voulues par les rois d'Espagne et du Portugal. Il faut dire que les relations commerciales entre la péninsule armoricaine et la péninsule ibérique étaient très intenses depuis la Reconquête, que des traités de commerce avaient été passés par les souverains bretons d'une part, les villes de Biscaye, les rois du Portugal et les rois de Léon et Castille d'autre part (ces traités sont toujours conservés précieusement à Nantes, dans le Trésor des chartes des ducs de Bretagne). Les bateaux bretons étaient présents partout, des négociants bretons étaient installés dans divers ports ibériques, dont Bilbao et surtout Sanlucar de Barrameda, l'avant-port de Séville, à l'embouchure du Guadalquivir où l'on put toujours voir aujourd'hui des vestiges du "Quartier breton". Les archives espagnoles et portugaises des XVe et XVIe siècles fourmillent d'informations, encore très peu exploitées, sur cette présence bretonne.
Un indice intéressant en est fourni par la composition des équipages de l'expédition de Magellan, partie précisément de ce port de Sanlucar de Barrameda le 20 septembre 1519. On connaissait jusqu'ici les noms de deux Bretons qui en faisaient partie : le mousse Jean Breton, du Croisic, et un contremaître du Santiago, Barthélémy Prieur, de Saint-Malo, mais aujourd'hui la preuve est faite qu'il y avait au moins cinq Bretons sous les ordres de Magellan. Aux deux marins précédemment cités, on peut désormais ajouter Pierre Aranot, d'Auray, Guillaume Tanneguy, de Groix, et Étienne Villon, lui aussi du Croisic. On connaît aussi les lieux et dates de leur mort... Tous ces renseignements et une infinité d'autres informations se trouvent dans une nouvelle édition du "Voyage de Magellan (1519-1522)", publiée à Paris, il y a quelques mois, par les éditions Chandeigne, et qui est un véritable monument d'érudition.
On sait que Fernand de Magellan (Fernão de Magalhães en portugais), né à Porto en 1480, fut nommé capitaine par le roi d'Espagne Charles Quint en 1518 et partit l'année suivante à la tête d'une expédition comprenant cinq navires, équipés de vivres pour deux années et comportant 237 hommes de diverses nationalités européennes ; Espagnols, Portugais, mais aussi Italiens, Grecs, Bretons, Français et autres encore. Le chef de l'expédition allait trouver la mort dans un combat avec des indigènes aux Philippines le 27 avril 1521 et un seul navire, le Victoria, commandé par le capitaine basque Jean Sebastian Elcano, allait revenir à Sanlucar de Barrameda le 6 septembre 1522 avec 18 des marins partis en 1519, aidés de quatre Molucois.
Au total, 90 marins au moins survécurent en fait, d'autres revenant plus tard. Le récit le plus complet de ce voyage fut composé par un Florentin qui participa à l'expédition jusqu'au bout, Antonio Pigafetta. Son récit original a été perdu, mais on en connaît quatre copies manuscrites, une en italien et trois en français, dont la plus complète (de 1525) est conservée aux États-Unis, à l'Université de Yale, dans le Connecticut.
De nombreuses publications ont été faites de ce récit dans les principales langues du monde, dont plus d'une dizaine en français aux XIXe et XXe siècles, mais elles étaient bien imparfaites, laissaient beaucoup de points dans l'ombre et comportaient aussi des contradictions et même des erreurs. L'édition récemment réalisée par Xavier de Castro, en collaboration avec Luis Filipe Thomaz et Jocelyne Hamon, aux éditions Chandeigne, fera désormais autorité et n'a aucun équivalent en d'autres langues. Le auteurs ont exploité toutes les sources disponibles, non seulement les quatre manuscrits existants de la relation d'Antonio Pigafetta, dont ils donnent toutes les variantes, mais aussi l'intégralité des récits, déclarations et lettres des compagnons de Magellan et d'autres documents contemporains, avec un appareil de notes faisant la synthèse des connaissances actuelles et résumant les principales hypothèses d'interprétation concernant quelques énigmes et résumant les diverses zones d'ombre du voyage. Une série de cartes, des illustrations, une bibliographie exhaustive, une chronologie et un index pléthorique contribuent à faire de cette édition un ouvrage exceptionnel qui, pour de nombreuses raisons, devrait avoir sa place dans toutes les bonnes bibliothèques de Bretagne.
("Le Voyage de Magellan (1519-1522)", deux volumes reliés, sous coffret, 1 088 pages au total, 75 €)