Lors de l’émission « Ripostes » (France 5, dimanche 21 janvier), Marine le Pen estimait que, si on peut comprendre qu’un panneau de ville soit indiqué en breton, par contre les panneaux bilingues pour « toutes directions » ou « centre ville » consisteraient à admettre qu’ « on revient au bilinguisme et ça c’est extrêmement grave ». Venant de Marine Le Pen, ce genre de sottise n’est ni un scoop ni dramatique en soi. Plus gênant est l’absence de réaction des autres interlocuteurs de l’émission à ces propos (sauf Arlette Laguiller qui a pourtant à son passif, elle aussi, un bon nombre de stupidités sur les langues régionales). D’autant que le sujet était loin d’être anodin, s’agissant d’intégration / assimilation et de pratique linguistique.
Bilinguisme et culture autochtones
Ainsi selon M. Le Pen, le bilinguisme constitue une grave entrave à l’intégration. Elle-même jouant la confusion et mélangeant sans vergogne cultures autochtones et cultures de l’émigration.
Or, nous n’avons pas de leçon ou de certificat d’intégration à recevoir de Marine Le Pen ou de quiconque. Qui est plus intégré en Bretagne qu’un Breton sachant parler le breton et le français ? Qui est plus chez lui qu’un Basque, Occitan, catalan, alsacien ou corse, à l’aise dans sa culture comme dans la culture française ?
Sans revenir sur le fait que la France a cherché à éradiquer ces cultures « premières » y compris par des moyens aujourd’hui condamnés par toutes les législations internationales, les minorités culturelles autochtones ont maintenant des droits reconnus par ces conventions internationales, même si la France ne les a pas signées faute d’avoir été capable de se mettre sereinement à niveau, engluée qu’elle est dans des schémas impérialistes d’un autre temps.
Oser présenter le bilinguisme comme un handicap à l’intégration est quand même un comble s’agissant de locuteurs vivant dans leur pays. Un pays ayant généralement une antériorité largement supérieure à celle de la France elle-même. Intégration et cultures de l’émigration Il semble évident que les langues et cultures de l’émigration ne peuvent se prévaloir des mêmes droits ; Ne serait-ce que pour des aspects pratiques (absence de territorialité, multiplicité des langues, demande sociale très variable, etc….)
Pour autant, et même en supposant que l’intégration soit l’enjeu premier vis-à-vis de ces citoyens, les analyses sommaires de Marine Le Pen (et hélas, elle n’est pas la seule concernée !) demandent réflexion.
Pour le bon centralisateur jacobin moyen, intégration veut dire assimilation. « Tous comme moi pour être acceptables ». Et le merveilleux résultat de cette politique se retrouve dans la difficulté de toute personne « différente » (par le nom ou le prénom, la couleur de la peau, l’accent….) à avoir ne serait-ce qu’une réponse à une demande d’emploi, trouver un logement ou rentrer dans une boîte de nuit… Comprenez donc qu’il y a des bilinguismes chics (français-anglais par exemple) et des bilinguismes honteux ou dangereux ! Pendant un temps, la France a même autoproclamé le français comme modèle universel. Aujourd’hui, elle se fait défenseuse de la diversité culturelle pour garder une place qu’elle n’a pu préserver par une domination militaire ou économique. Qu’en sera-t-il demain ? Peut-être devra-t-elle prôner pour elle-même les vertus du bilinguisme…
Quand on sait le traumatisme que représente un déracinement, la solution ne passe pas par le rejet et l’interdiction de la culture d’origine mais par l’acquisition de la culture d’accueil. Permettre d’accéder à la seconde tout en valorisant la première ne peut que donner : ü les conditions favorables à un épanouissement de la personnalité, ü un atout supplémentaire par la pratique d’autres langues qui sont souvent des langues de grandes diffusion et de culture (comme l’arabe, par exemple).
Inversement, pratiquer une politique de dénigrement, de refus ne peut que conduire à des attitudes de renfermement ou de réaction et de radicalisation. C’est cette conception impérialiste de l’intégration qui provoque puis nourrit le fameux communautarisme dénoncé le plus fort par ceux-là mêmes qui l’ont provoqué.
On ne peut dénier à quelqu’un le droit à son identité sans retombées douloureuses, aujourd’hui ou plus tard. Cela suppose de trouver des solutions pratiques et adaptées. Des solutions qu’on dit difficiles non parce qu’elles le sont mais parce qu’on n’en veut pas. On préfère, au nom d’un dogmatisme éculé, se priver des retombées positives d’une politique respectueuse d’intégration plutôt que d’admettre la diversité comme une richesse culturelle, humaine, économique, sociétale…. Enjeux de la diversité culturelle La France qui se fait le champion mondial de la diversité culturelle « oublie » de l’appliquer sur son propre territoire. Et pourtant, chaque langue et culture n’est-elle pas d’abord une partie du patrimoine mondial de l’humanité ? N’apporte-t-elle pas, sur le plan individuel, l’épanouissement de la personnalité (la langue en tant que conception du monde, vecteur des relations humaines, d’appartenance à une société, références…), créativité, originalité, reconnaissance et partage par un groupe humain, une pratique culturelle populaire plutôt qu’une consommation passive ? De même, sur le plan sociétal, les langues et cultures régionales constituent un antidote à la mondialisation standardisante, à la marchandisation de la culture.
L’expression positive de son identité favorise l’ouverture aux autres, le respect de l’altérité, et donc le rejet de la xénophobie, tout en étant ainsi un antidote au repli et aux revendications agressives. Vivre sa culture au quotidien induit la volonté de maîtriser son avenir et de participer au concert des nations.
Le domaine économique lui-même est concerné. D’une part l’expression culturelle est un champ économique en soi (ce n’est sans doute pas par hasard si la Bretagne est la deuxième région après l’Ile-de-France sur le plan de l’édition, si elle représente à elle seule la moitié des professionnels de la musique et la moitié des élèves suivant des cours de musique en France…). En outre, on sait qu’aujourd’hui la culture est devenue le cheval de Troie de l’économie (la guerre entre grandes puissances n’est plus possible, c’est donc l’économie qui a pris le relais, et la culture en est le représentant de commerce). Les industriels l’ont bien compris qui utilisent au mieux la notoriété apportée par l’identité, une image de marque gratuite, efficace et repérée dans le monde entier. La Bretagne, dont les deux grands domaines économiques sont l’agro-alimentaire et le tourisme et qui est la deuxième région touristique de France, ne serait-elle prisée par les estivants que pour l’attrait de ses algues vertes et l’omniprésence de son soleil ?
Les hommes/femmes politiques ont beau jeu de critiquer le Pen et ses théories xénophobes mais font-ils/elles tellement mieux :
- en ne réagissant pas à ces propos
- en votant en 1992 l’article 2 de la Constitution qui rend « hors-la-loi » les langues régionales alors qu’il visait, soi-disant, à protéger la France contre l’envahissement de l’anglais
- en ne ratifiant et en n’appliquant pas le droit international relatif aux minorités culturelles
- en se voilant la face devant l’incapacité de la France à évoluer face aux questions de diversité culturelle. Qui fait les lois ?
- Tout en faisant attention à ne pas mettre dans le même sac les trop rares défenseurs honnêtes des cultures régionales (Oui, il y en a !), cette incapacité de la France n’est rien d’autre que celle du monde politique. Aveuglement, dogmatisme, lâcheté, ou obéissance servile aux états-majors des partis qui ne connaissent que leur microcosme parisien. Au choix !
Patrick MALRIEU Président du Conseil Culturel de Bretagne 29 janvier 2007