Christian Troadec, l'incontesté président de la République des Bonnets rouges, est-il capable de transformer l'essai après avoir réussi à attirer une foule comme on en voit peu en Bretagne dans sa ville de Carhaix-Plouguer ?
Par une man½uvre qu'on peut juger osée, mais, en définitive, habile, il investit le « centre » de la politique française en déclarant le 16 décembre 2013, à Médiapart, qu'il envisage de poser sa candidature à la présidence de la République en 2017.
Il a compris l'essentiel : ne pas se laisser oublier, flatter l'égo des journalistes politiques, qui vont adorer le critiquer, puisqu'ils auront trouvé un Huron, un politicien « à demi-sauvage » et qu'ils pourront le boxer à loisir pour faire mieux ressortir les qualités de leurs poulains, issus des partis « sérieux », mais, l'intéressé y gagnera de ne pas être définitivement classé à la rubrique des innombrables personnalités célèbres pendant un quart d'heure.
Il a précisé qu' Avoir une candidature régionaliste à la présidentielle de 2017 (lui) semble quelque chose de pertinent » et
cela n'a pas encore été fait . Il a mentionné «les régions à forte personnalité», comme l'Alsace, la Corse et le Pays basque, tout en ajoutant que le candidat ne serait « pas forcément un Breton ». La machine politique qu'il semble vouloir construire fait poser beaucoup de questions auxquelles il n'est pas simple de répondre.
Pourtant, il se produit une agitation politique inédite et controversée en Bretagne, pays habituellement très calme.
L'insurrection des Bonnets rouges est une alliance des plus classiques que l'ossification de la politique en France empêche voir comme telle. Non-violente, malgré les abattages de portiques et les escarmouches contre les policiers, le 2 novembre, à Quimper, elle brise les codes politiques français, la rendant difficile à récupérer pour les pouvoirs centraux et régionaux.
Le récit, selon lequel, il y aurait les « petites gens », peu fortunés, qui se heurteraient à des couches aisées manipulées par les grands patrons est un héritage politique très daté.
On reconnaît là le discours des partis communistes qui a particulièrement influencé la société française, depuis 1917, car, il est l'axe de lecture discret de beaucoup d'observateurs politiques.
Le parti socialiste s'est longtemps présenté comme un parti ouvrier (ne s'apppelait-il pas jusqu'en 1971, Section française de l'Internationale ouvrière?), alors qu'il a toujours été formé d'alliances sociales réunissant des petits employés, des professionnels artistiques et culturels, des personnels de l'éducation et des petits et moyens entrepreneurs, à côté de rares bastions ouvriers, comme dans le Nord.
Cette opposition est le fond de commerce, non seulement des communistes, mais, celui des « gauchistes » agrégés par le Parti de Gauche, une partie des Verts et influe sur les ATTAC et autres altermondialistes classés dans la « gauche de la gauche » qui s'opposent aux deux partis parlementaires attrape-tout, le PS et l'UMP.
Le premier garde une vague prééminence dans les quartiers d'habitat collectif dense où sont concentrés une partie des pauvres, mais le second attire tout autant les chefs d'entreprise importants que les « petites gens ».
Le PS peut même enrôler sous sa bannière un syndicaliste comme Édouard Martin en Lorraine sans que son syndicat CFDT s'en émeuve. Deux poids, deux mesures ?
Dans le fond, il est reproché cinq choses à Christian Troadec et aux Bonnets rouges et ces thèmes reviennent, de manière presque stéréotypée sur les forums et les réseaux sociaux.
- D'utiliser des moyens violents
- De refuser la solidarité nationale en refusant un impôt, tout en demandant des subventions
- De réunir des « patrons » supposés exploiteurs cyniques et des ouvriers
- D'inclure des agriculteurs responsables d'un modèle productiviste dépassé qui crée beaucoup de pollution
- D'avoir des visées « régionalistes », en fait indépendantistes, puisque les deux mots sont confondus l'un avec l'autre
Christian Troadec suscite parfois une vindicte particulière, qui concerne rarement ce qu'il dit, mais, sa posture supposée de « grande gueule » qui veut se hausser à un niveau de politique qui n'est pas le sien.
Globalement, l'alliance suscite des interrogations et, surtout des peurs : que veulent-ils vraiment, qui les fait marcher en sous-main, est-ce que réunir des employés et professionnels libéraux (par le statut/ou et par les idées) n'est pas un danger pour ceux qui n'acceptent pas d'entrer dans le jeu ? Il faut souligner que l'alliance se présente explicitement comme un antidote à la montée du Front national.
L'Agence Bretagne Presse a déjà traité de la genèse de l'alliance ( voir notre article ) qui, jusqu'au 30 novembre, rassemble quatre groupes distincts : les entrepreneurs du transport et quelques-uns de leurs employés, les agriculteurs de la Fédération des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA 29) et, à partir du 2 novembre 2013, les ouvriers des usines finistériennes menacées de « plan social » (Doux, Gad, Marine Harvest et Tilly-Sabco), ainsi que les marins-pêcheurs CGT.
Seul le premier est relié à des organes patronaux (Institut de Locarn, Produit en Bretagne, syndicats de petites entreprises, dont la CGPME), ainsi que les responsables de la grande distribution (hypermarchés) qui voient que l'écotaxe, soit, étranglerait leurs transporteurs, soit, les obligerait à la répercuter, ce qui ferait augmenter les prix d'au moins 4 %, puisqu'il n'y a pas de transport alternatif en Bretagne.
Pour mémoire, les agriculteurs ont rejoint l'alliance le 2 août 2013 et ont aidé à abattre le portique écotaxe de Guiclan et les ouvriers et les marins-pêcheurs sont arrivés à Quimper, le 2 novembre, drapeaux de leurs syndicats au vent, sans avoir demandé la permission à leurs frileux patrons syndicaux.
Cette alliance a commencé à se muer en front politique, dès lors que les leaders syndicaux Olivier Le Bras (FO Gad) et Thierry Merret (FDSEA 29) ont créé avec Christian Troadec, fin octobre, le Collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne ».
Ce ne sera un front politique que quand il aura subi l'épreuve du feu, c'est-à-dire, une campagne électorale et il pourra alors se transformer en parti ou en label d'investiture électorale.
La phase actuelle (fin 2013-début 2014) est celle de la construction de la machine politique qui doit se doter des quatre ingrédients indispensable à sa pérennité : une direction solide, une « constitution », des relais locaux et pour lier le tout, de l'argent.
La direction connue est celle du triumvirat et Christian Troadec est le porte-parole principal, car le plus rompu aux joutes oratoires et capable de s'imposer par son calme et ses formules simples dans les interviews télévisées. Il ne faut pas le sous-estimer, car, à 47 ans, il a déjà eu plusieurs vies et mené plusieurs campagne électorales. Il est assez pragmatique pour éviter d'être dans la guerre permanente avec ses rivaux socialistes et UMP. Pour le moment, aucun élu un peu en vue ne l'a rejoint. Le trio s'appuie sur une direction politique plus large, composée de militants bretons expérimentés et de chefs d'entreprise. L'équipe de commnunication bénévole qui le soutient a beaucoup investi dans les réseaux sociaux (Facebook et Twitter), mais, il faudra toucher les non-informatisés et les opposants de principe à ces plate-formes qui respectent pas la vie privée.
La « constitution » est annoncée comme étant un futur manifeste, dont la rédaction finale est prévue après les « États-Généraux de la Bretagne » qui seront tenus le 8 mars 2014, à Morlaix.
La Charte, qui est proposée comme texte de rassemblement des comités locaux lesquels sont au nombre de 33 à la mi-décembre. 14 d'entre eux sont dans le seul département du Finistère, mais celui de Carhaix, ville sur une frontière départementale, rayonne aussi aussi dans le département voisin, de même que ceux de Dinan, Loudéac, Pontivy et Redon. Presque toutes les villes-centre importantes de Bretagne sont concernées. Ils interviendront localement, mais aideront aussi l'association Breizh Impacte, un simili-think tank ( voir notre article ), à qui la tâche de collecter des cahiers de doléances a été confiée.
L'argent ne peut venir que de trois sources : les entreprises privées, l'État et les futurs adhérents à une organisation encore dans les limbes. Juqu'ici, il a fallu « bricoler » : des dons en nature et le produit de la restauration ont financé la manifestation de Carhaix.
La candidature « régionaliste » de Christian Troadec en 2017 pourrait servir de tremplin pour une campagne pour les législatives dans un nombre élevé de circonscriptions, dont le total des voix est susceptible de déclencher une aide substantielle de l'État.
Les Bonnets rouges se voudront, autant qu'il sera possible, « les bons élèves de la République » avec les récompenses afférentes.
À suivre...
Christian Rogel