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- Communiqué de presse -
Alain Croix, André Lespagnol et Fañch Roudaut, le monde comme si…
Dans les tribunes de plusieurs quotidiens, les historiens Alain Croix, André Lespagnol et Fañch Roudaut sortent du bois pour exprimer leur point de vue politique sur la révolte des Bonnets
Par Bertrand Deleon pour Gwened / Vannes 2014 le 23/11/13 15:13

Dans les tribunes de plusieurs quotidiens, les historiens Alain Croix, André Lespagnol et Fañch Roudaut sortent du bois pour exprimer leur point de vue politique sur la révolte des Bonnets Rouges.

Ces derniers considèrent que le mouvement des Bonnets Rouges « manipule l'Histoire », « tombe dans le populisme » et ne cherche pas à « résoudre les vrais problèmes ». Ils estiment encore que « cet épisode de l'histoire bretonne, déformée, est utilisé à des fins biens précises et pour le moins douteuses ».

Leur argumentation est basée sur les axes suivants :

Des Bretons devant un symbole de l'Etat

- La révolte sous le règne de Louis XIV visait selon eux « tous ceux qui, de près ou de loin, peuvent être perçus comme des exploiteurs : seigneurs, agents du fisc, clergé même. Et personne ne s'en prendrait au roi », d'après les trois historiens toujours.

- Il s'agit d'une « dimension sociale » « travestie et instrumentalisée ». « La colère légitime des victimes » serait détournée « contre Paris », ce qui n'aurait pas été le cas à l'époque.

- La responsabilité de la crise actuelle « incombe essentiellement à certains chefs d'entreprise et à certains syndicalistes agricoles qui n'ont pas voulu voir l'effondrement d'un modèle économique devenu dépendant de subventions européennes ».

Puis, ils concluent par la dénonciation d'une « escroquerie intellectuelle » et un soutien au mouvement anti-Bonnets Rouges.

Ces messieurs les Historiens accourent au chevet d'une France mythique, nationale, cocardière et éternelle, immuable. M. Alain Croix l'a déjà exprimé clairement dans ses écrits, ses engagements sont visibles jusque dans ses ouvrages d'Histoire.

Lors de mes études en faculté d'Histoire, j'en ai entendu des vertes et des pas mûres : l'Histoire de la « Nâtion française », l'Histoire des nationalismes vue à travers le prisme des bien-pensants, une vision tronquée, manipulée, dans laquelle des pans entiers étaient omis et surtout une fabrique de clones sur le modèle de la professeure à la tête du département Histoire, fraîchement parachutée de Paris à Lorient.

J'eus l'occasion de présenter un dossier sur les Bonnets Rouges – puisqu'il était question de choisir un thème concernant les révoltes sous Louis XIV – et là, on ne put rien me dire sur l'étude menée, sinon qu'on n'a jamais voulu me restituer le dossier… Or, personne n'oserait remettre en cause des faits. Qui oserait trahir un sujet qui pourrait réveiller nos compatriotes bretons ? Pourtant, des Historiens le font.

Qu'en est-il vraiment du parallèle fait par les nouveaux Bonnets Rouges ?

En 1675, sur fond de crise économique, les paysans principalement de Bretagne occidentale, avec des échos en Haute-Bretagne de Rennes à Nantes, les Etats de Bretagne se lèvent contre douze nouvelles taxes de Louis XIV pour soutenir les guerres menées par le monarque absolu. Le Duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, représentant du roi, explique à Colbert, ministre des finances de la France, que la révolte gronde dans les villes et les campagnes.

La guerre de « Hollande » ! La privation de débouchés commerciaux.

En pleine guerre de Hollande, l'opposition aux Habsbourg en Autriche, en Hongrie, en Sicile… Les combats maritimes privent bel et bien la Bretagne de débouchés commerciaux. Le royaume est sur tous les fronts. Tout ressemble à la situation actuelle, en s'adaptant un minimum à l'esprit des époques bien évidemment. Placez en toile de fond le financement de guerres et le commerce gêné par la concurrence incitée par Louis XIV (disparitions des manufactures de toiles de Quintin à titre d'exemple, notamment par l'installation volontaire de Hollandais comme Van Robais), « toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. » ?

Alors, « guerre de Hollande », trop de fiscalité, privation de débouchés commerciaux, décisions prises dans l'intérêt de Paris… Ca ne vous dit rien ?

En effet, Messieurs les « Historiens », les paysans du XVIIème siècle avaient plus de difficultés à s'attaquer directement au Roi : ils n'avaient pas de journaux, pas de radio, pas de télé, pas de réseaux sociaux sur Internet, et les déplacements étaient longs. Mais, les Bonnets Rouges actuels en se massant devant les préfectures n'ont-ils pas des similitudes avec les révoltés de 1675 qui s'attaquaient aux symboles du pouvoir ?

Les paysans ne demandaient pas un traitement de faveur, un statut à part, comme on a pu lire ces derniers temps, mais ils exprimaient la violation successive des droits du peuple breton, mentionnés dans le traité de 1532. Or, actuellement, la Bretagne sacrifie plus que jamais ses finances et sa fiscalité pour l'Ile-de-France ; la création du grand Paris est à l'origine de nombreuses nouvelles taxes, du gel des dotations aux collectivités territoriales : aux départements et aux régions. Nous payons des impôts qui ne reviennent pas, c'est pour cela que la Bretagne a un budget ridicule face aux autres pays émergeant d'Europe : Catalogne, Pays de Galles, Ecosse, Flandre… C'est ce hold-up qui empêche de construire nos bonnes infrastructures, d'aider et de choisir nos productions donc de permettre un développement régulier et respectueux des hommes et de l'environnement.

« Les codes paysans » ?

On peut même ricaner ensemble sur la revendication de « la gratuité du tabac » à cette époque où il n'y avait que peu d'autres « opiums du peuple » mais la profondeur des écrits revendicatifs du peuple était tout autre. Le peuple de l'époque réclamait aussi l'abolition des droits seigneuriaux, 114 ans avant la Révolution. Une revendication qui avait d'ailleurs été portée par les Bretons à Paris.

Le Code Paysan rédigé, on y trouve des revendications liées à :

- l'organisation d'un système de représentation ;

- la suppression de droits de propriété sur les domaines congéables au nom d'un idéal, la Liberté Armorique ;

- l'abolition des ordres féodaux par mariages mixtes et dispersion des héritages ;

- Le droit des femmes ;

- L'abolition d'impôts abusifs ;

- La conservation mais limitation de l'impôt royal sur le vin ;

- l'utilisation d'un impôt pour un service public sur le bien-être ;

- la suppression des impôts cléricaux et octroi d'un salaire fixe aux clercs ;

- la suppression du papier timbré, le timbre étant une taxe sur les actes légaux ;

- le droit de chasse et une revendication "écologique" avant l'heure de limitation de la saison de chasse ;

- la liberté et la loyauté dans les relations avec les services seigneuriaux, les services publics de l'époque.

Ce code s'appuie par ailleurs clairement sur la « Liberté Armorique », expression faisait référence aux clauses du traité de 1532.

Les responsables de la crise actuelle

On a parlé dans le passé de modèle agricole breton. Il apparaît clairement que les Bretons n'ont eu aucun choix à l'époque. Il n'y a pas de modèle agricole breton mais un geste de survie correspondant à la fois à la demande de l'Etat de nourrir la France au lendemain de la guerre. Nous ne pouvions que faire correspondre les deux dans la crise de l'époque. Le combat du CELIB combiné aux attentats du FLB ont porté la voix des Bretons face à un Etat qui a fini par céder : il nous a laissé financer notre réseau routier et brûler notre terre pour respirer quelques instants.

Autrement dit, si des moyens de productions néfastes pour l'environnement se sont développés dans nos sociétés occidentales et particulièrement en Bretagne, c'est parce que des gens devaient survivre dans cette économie de marché et la situation périphérique dans laquelle la France nous place. Il y a de gros profits pour une minorité dans un système économique inhumain mais cela ne justifie pas de s'éloigner d'une revendication unitaire et d'accepter ainsi de ruiner la vie de femmes et hommes, salariés de ces entreprises, ainsi que leur famille.

Désormais, quelles sont nos orientations de productions, quels sont nos marchés, nos infrastructures, notre logique d'aménagement du territoire... ? Qui portera aussi la voix de la Bretagne à l'Europe alors même que des nations émergent et dessinent une nouvelle Europe ?

Il s'agit de la question incontournable des actuelles « Libertés Armorique ».

Pour Vannes 2014,

Bertrand Deléon.

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