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- Chronique -
Bretagne, un atelier du Monde détruit par le colbertisme
Des études historiques sérieuses et l'action de passionnés comme Serge Duigou et Jakez Cornou ont montré que le Pays bigouden (Sud-Ouest du Finistère) était un complexe portuaire international au XVIème
Par Christian Rogel pour ABP le 11/09/12 19:11

Des études historiques sérieuses et l'action de passionnés comme Serge Duigou et Jakez Cornou ont montré que le Pays bigouden (Sud-Ouest du Finistère) était un complexe portuaire international au XVIème siècle (il s'agissait de nombreux hâvres englobés dans Penmarc'h pour les registres portuaires, du nom de la grande presqu'île qui va d'Audierne à Loctudy, et non pas de la seule commune.

Tous les ports de l'Europe connaissaient les bateaux bretons et, surtout, les «penmarchais», de Gibraltar à la Baltique.

La région bigoudène et du Cap-Sizun était connue pour son immense richesse qui attirera des brigands aristocratiques et sanguinaires, lors des guerres de religion à la fin du siècle.

C'est l'apogée de l'économie rurale et maritime bretonne, dont on a dit qu'elle était basée sur les toiles de chanvre et de lin et sur le sel de la future Loire-Atlantique, mais, c'est une vision trop rapide.

Dans l'actuel Finistère, on a pu vu voir une incroyable course à la construction d'églises de chapelles, de calvaires et d'ossuaires, qui s'arrête brusquement au début du 18ème. Les jolis maisons «à colombages» ou en belles pierres des petites villes en sont aussi le témoignage avant la «faillite».

Locronan, capitale de toiles de chanvre, si recherchées par les Anglais et les Espagnols, deviendra, malgré elle, un musée. Les estuaires d'Audierne, de Douarnenez (Pouldavid), du Faou, de Daoulas de la Penzé, du Trieux, de l'Arguenon, de la Rance, se vident alors, comme les ports de Penmarc'h de leurs bateaux de commerce.

Qu'avait donc la presqu'île de Penmarc'h de plus que d'autres ports? La réponse n'est pas forcément dans les archives, car Louis XIV a ordonné d'en détruire une partie à la suite de la révolte de Bonnets Rouges en 1675.

Comme le remarque Robert Gouzien, auteur d'un petit livre à la recherche des traces de l'économie bigoudène, peut-être faut-il se souvenir que les archives du Languedoc ont subi le même traitement.

On a appelé Pays de Cocagne, la région de Toulouse pour sa production de "coques" de pastel à partir des feuilles d'une plante appelée la guède qui permet d'obtenir une belle couleur bleue.

Dans Gueudet, Guéodet, Kerboullen qui signifie pastel (ainsi que glizin), Robert Gouzien propose de voir la trace de la culture du pastel exporté, on en est sûr vers l'Angleterre, même s'il est vrai que Penmarc'h en a importé depuis le Midi. Le pastel était presque un produit de luxe.

La promenade dans les noms bretons de Plomeur, la grande paroisse primitive du Sud du Pays bigouden, suggère à notre auteur, une incroyable quantité de sites produisant, grâce au climat favorable aux végétaux et à l'élevage, des marchandises très recherchées : lin, chanvre, sel, cuir, laine, céréales, poisson séché, teintures de pastel et de sûreau.

Le poisson n'est pas seulement pêché sur la côte, mais, il est produit dans des viviers et des étiers qui parsèment les actuels marécages, dont une partie étaient alors des marais salants. Ces étiers (sterioù en breton) étaient aussi utilisé en partie comme petits ports.

Ce pays était béni des dieux et capable de faire vivre très bien une très nombreuse population qui s'est mise à augmenter.

C'était, avec le Léon (Nord-Finistère), la région de Quintin et d'autres, un des ateliers du Monde, une immense fabrique de dizaines de milliers d'ateliers, l'énergie était alors fournie par une multitude de moulins à main, à chevaux, à eau douce, à marée et à vent, la Bretagne étant, une fois encore, favorisée pour les héberger.

Comment expliquer la chute verticale d'une économie diversifiée et riche, qui avait provoqué la convoitise de plusieurs royaumes et dont en a effacé le souvenir pour en faire l'exemple de la province pauvre et arriérée?

Essentiellement par le changement d'échelle de l'administration qui est, de plus en plus, dirigée depuis Paris et soumise aux désirs intéressés de ses relais locaux.

On attribue le monopole du commerce des toiles à seulement quatre ports : Morlaix, Landerneau, Nantes et Saint-Malo.

Colbert fait ordonner en 1681 de détruire toutes les pêcheries (pièges à poissons sur la côte et dans les étiers, viviers) qui avaient été établies avant 1544 (les Gored, Corret, Corréjou, Kerhorret en sont la trace), afin que l'État s'approprie le domaine maritime qui était source de nourriture majeure pour les riverains.

Dès 1599, Henri IV avait demandé aux Hollandais de venir assécher des marais de Bretagne, car, on veut développer la production de grains, sans tenir compte de l'économie locale.

Adieu, donc, l'énorme production de poissons de rivière, comme le saumon et le brochet.

En détruisant l'économie maritime, c'est la multitude de petits chantiers navals qui sont éliminés et donc, avec eux, les charpentiers et les calfats, sans doute, réorientés dans la ruineuse marine de guerre qui déboisera le pays.

Robert Gouzien met en garde contre les traductions de noms de lieu trop évidentes. Nous avons eu beaucoup de saints sanctifiés par les évêques bretons, mais, les autres résultent souvent de quiproquos.

Sant(Saint) a pu souvent être confondu avec san qui signifie petit canal ou fossé, voire bras de mer. Alar, au fond des vallées (Stangalard, Stangala) est peut-être plus lié aux alevins qu'aux poulains qui les ont remplacés dans le culte de Saint Alar ou Saint Éloi, car l'alaer (alevineur) s'occupait aussi d'ebeulioù (alevins et poulains en breton).

Est-on sûr qu'un tré- désigne un quartier paroissial, quand cela peut désigner aussi le flux de l'eau?

Les moulins, qu'ils soient bleus ou verts (milin glas ou meilh glas), étaient spécialisés dans le broyage des plantes et les gwazh(ioù) wenn (goasven) étaient des ruisseaux blancs, car ils charriaient une argile (la saponite), utile pour le foulage (détâchage).

Comme toujours en toponymie historique, une partie des suppositions ne sera pas admise par tous, mais, un chantier intéressant a été ouvert.

Il y a encore beaucoup de recherches à mener pour effacer les clichés sur la Bretagne pauvre et isolée, alors qu'elle a toujours été ouverte sur la mer et pourvue d'atouts naturels souvent mal exploités ou laissés délibérément de côté.

Et il ne faut pas croire que le colbertisme ait disparu, il semble continuer d'être la boussole de l'administration centrale, au grand étonnement des pays voisins (Plan calcul, Concorde, politique maritime, politique énergétique, enseignement, contrats État-Région, droit uniforme et tentaculaire, etc.).

Robert Gouzien, Le Pays bigouden, un pays de Cocagne? Essai de reconstitution du tissus économique (12ème-17ème siècle) à partir du Plomeur d'autrefois, par la toponymie. Éditions Ken Déro, 5 Ar Pont, 29120 Plomeur. 2012. 22 €.

Christian Rogel

Voir aussi :
Cet article a fait l'objet de 1332 lectures.
Christian Rogel est spécialiste du livre, de la documentation et de la culture bretonne.
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Vos 2 commentaires
SPERED DIEUB Le Mardi 11 septembre 2012 19:44
Comme quoi le déclin de la Bretagne ne commence pas en 1789 comme voudrait le faire croire certaines personnes pour des raisons purement idéologiques dans de sens Arthur de La Borderie est critique sur la révolte des bonnets rouges qui a annoncé la révolution de1789 qui a été bien entendu dévoyée et récupérée par ceux là même qui ont continué la politique centralisatrice de la monarchie absolue alors que Louis XVI était ouvert au fédéralisme contrairement aux girondins !!! et oui il l'a d'ailleurs payé très cher
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SPERED DIEUB Le Dimanche 16 septembre 2012 12:12
Similitudes historiques ... comme quoi l\\\'histoire peut basculer d\\\'un bord ou de l\\\'autre suivant les circonstances
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