Breton, Dinannais, habitant le Pays de Bade, j’ai, il y a quelques semaines, fait paraître sur le site de l’ABP un court papier concernant le projet du gouvernement du Land de Baden-Würtemberg de créer un véritable parcours celtique permettant de mettre en réseau et de mieux valoriser les sites archéologiques existants.
Comme plusieurs lecteurs m’ont contacté et que mes compatriotes bretons semblent intéressés par les antiquités celtiques de la région où je séjourne, je me permets d’ajouter quelques détails.
Je ne tiendrai pas compte, comme il se doit, des frontières nées au début des temps modernes. Ce petit voyage découverte nous emmènera à Bâle puis à Breisach, à Ehrenstetten, à Kirchzarten, à Mengen, Riegel, au Kaiserstuhl et à Sierentz… N’étant ni spécialiste de ces antiquités ni celtologue patenté, ce ne seront là que quelques observations d’un promeneur curieux.
À 10 km de mon domicile se trouve la ville de Bâle. C’est là que les Celtes établis sur ce qu’on appelle aujourd’hui la colline de la cathédrale (Münsterberg) ont construit, sans doute un peu antérieurement à 40 avant J.-C., des remparts typiquement celtes. Cette colline ou plutôt ce haut plateau domine à pic le Rhin et la Birsig offrant ainsi un site remarquable car facile à défendre, le seul accès aisé se faisant par le sud. Ce type de site – colline ou éminence à proximité d’un fleuve ou d’une rivière dont un méandre sert accessoirement de protection (et de port) semble avoir été privilégié par les populations celtes installées par exemple dans les bassins du Danube ou de la Seine (voir les étonnantes découvertes actuelles- 2015- près de Lavau en Bourgogne ou celles, plus anciennes près de Châtillon-sur-Seine, au sud-est du mont Lassois).
Dès l’âge de bronze (vers 1200 av. J-C), des populations s’y sont installées (d’abord au nord de la colline, la partie la plus élevée) mais l’occupation humaine n’y a été continue que depuis l’époque celte tardive. Les Celtes ont occupé et urbanisé ce plateau de presque 5 hectares, fermant l’accès sud par un imposant système défensif (fossés et mur-palissade de défense). Ce mur protégé par un fossé assez large était composé de blocs de pierres sèches soutenus par intervalle par des poteaux massifs pour la partie extérieure et d’une armature en bois cloutée pour l’intérieur. Ces murailles assez caractéristiques des ouvrages de défense celtes ont été appelés Murus Gallicus par César, ce que les archéologues désignent aujourd’hui par le terme de remparts à poutrage verticaux. Le plateau était lui-même divisé en plusieurs zones, défendues par des fossés : ainsi, le piton nord (sur lequel se trouve l’église Saint-Martin) était-il séparé du reste des habitations par un fossé et avait probablement une fonction de « donjon », les fosses de stockage alimentaires et de détritus témoignent d’une occupation irrégulière sur le site. Les vestiges de bâtiments en bois prouvent que les habitations étaient situées des deux côtés d’une rue assez large et aménagée, qui s’élargit vers le centre en forme de place alors qu’elle se partage en deux en direction de la cathédrale actuelle. Entre ces deux voies secondaires se trouvait un bâtiment (à l’emplacement de la cathédrale) qui était probablement un temple ou un lieu cultuel, christianisé par la suite, comme cela s’est régulièrement fait partout en Europe. Des traces d’alignements de potelets en bois rappellent l’existence de clôtures qui auraient défini des enclos près des maisons.
Les travaux d’Andres Furger-Gunti dans les années 70 laissaient penser que cette agglomération datait du La Tène tardif ou final (LT D2) mais des recherches plus récentes remettent cette datation en question en s’appuyant sur la quantité d’objets découverts (métaux et céramiques) et considèrent que les débuts de l’occupation du site datent des années 80 avant J.-C. (découverte d’une fibule dite de Nauheim – La Tène D1 ; d’ amphores de vin italien de type Dressel 1a et de monnaies séquanaises sans inscription …). L’implantation celte se continue sans interruption jusqu’après l’implantation romaine et au-delà. Les fouilles poursuivies actuellement ont mis à jour quantité d’objets dont beaucoup sont visibles au musée de la ville : amphores à vin d’origine italienne de plusieurs époques (Dressel 1b entre autres), amphores à sauce et à huile, des dolia (utilisées pour la fermentation et la conservation du vin, recouvertes d'une couche de poix sur leur face interne), des jarres et des cruches, des fibule à nœuds ( La Tène D2 de 94 mmm), des objets de céramiques de qualité et très esthétiques faits au tour et sur place, des objets de tous les jours en « terra campana », quelques bijoux. Beaucoup de ces objets sont marqués par des influences lointaines (Grèce, Rome…) voire proviennent de ces régions et les artisans locaux les ont « celtisés » par exemple en ajoutant des décorations habituelles chez les populations celtes… Ces fouilles montrent aussi que les objets utilisés dans la vie courante ne se modifient (forme, matériaux, décors) que sous l’empereur auguste, vers l’époque de la naissance du Christ.
D’autre part, de nombreux objets à caractère militaire ( morceaux d’harnachement, de char, de glaives indiquent que cet endroit avait aussi une haute valeur stratégique) et certains historiens pensent que le Münsterberg fortifié de Bâle pouvait faire partie d’une série d’ouvrages de défense (comme ceux de Sasbach-Limberg ou de Breisach) érigés par les populations celtes pour faire face aux invasions de tribus germaniques à l’époque d’Arioviste, le chef des Suèves.
Avec la conquête de la Gaule par César, Bâle passe sous contrôle romain, ce qui n’a pas été problématique puisque les contacts avec Rome étaient anciens et constants. De cette époque témoignent de très nombreux objets ayant appartenu à des légionnaires. Il paraît évident que le Münsterberg sert alors à garantir la frontière de l’empire et que ce service de protection est délégué à des nobles celtes du lieu, au nom de Rome, et qu’on leur adjoint en renfort quelques légionnaires.
Le Münsterberg évolue alors profondément : dans les années 30-40, les bâtiments celtes originaux, le mur de défense sont abattus et remplacés. La présence militaire semble avoir alors été réduite et le plateau habité par une population civile de Celtes romanisés.
À 40 kilomètres de chez moi se trouve le Kaiserstuhl, un massif de collines moyennes d'origine volcanique dont le sommet le plus élevé est le Totenkopf avec 557 mètres d'altitude. L’endroit est d’une superficie réduite (12km sur 18 environ), entre la ville de Fribourg et le Rhin. On y cultive des fruitiers, mais c’est surtout la viticulture qui s’y est développée depuis des siècles et fournit toujours d’excellents crus. Le sol, les pentes, le microclimat qui y règne, la tradition expliquent cette qualité.
Il y a un peu plus de deux mille ans, cet ensemble montagneux dominait une plaine marécageuse et, de ses sommets, on pouvait voir jusqu’en Forêt-Noire ou vers les Vosges, une situation particulièrement favorable pour s’y installer. Au nord-ouest du Kaiserstuhl, une de ces collines par exemple, le Limberg près de Sasbach (où se trouve le monument (et le musée !) de Turenne qui y est mort en 1675), de 90 m de hauteur était alors baignée par un bras du Rhin (situation rappelant le Münsterberg de Bâle), ce qui le rendait particulièrement important sur le plan stratégique puisqu’il dominait également un gué, une importance que les Romains surent d’ailleurs plus tard exploiter.
En dépit de désastreuses opérations de remembrement, on a pu, au nord du Limberg, la partie la moins abrupte, mettre en évidence les restes d’ouvrages de défense datant du La Tène tardif comme des remparts à poutrage verticaux précédés de fossés (la face extérieure de planches épaisses, la face interne de terre et de pierres). À l’est, au sud et à l’ouest, là où les pentes sont particulièrement accentuées, le plateau semble avoir été défendu par des constructions plus légères.
Dans le périmètre protégé, on a pu mettre en évidence des greniers enfouis et des fosses à ordures, l’empreinte de poteaux et de structures bâties qui dessinent l’esquisse d’un village. Des restes d’amphores italiques témoignent d’un commerce avec le sud de l’Europe. On le sait, les Celtes commerçaient beaucoup, utilisant le Danube pour les déplacements vers la Grèce, le Rhin vers le nord, la Seine vers l’ouest, le Rhône vers le sud… Ces fragments ainsi que les quelques restes de céramiques indigènes également découverts permettent de dater ce lieu : La Tène D1 et A2, c’est-à-dire entre 150 et40/30 avant J.-C. La découverte de quelques fibules de bronze et pièces tendent à faire penser que l’endroit avait surtout une vocation militaire, comme les collines du Münster (église/monastère) à Breisach (à 15 km) ou de Bâle (à 50km).
Remarques :
Entre 150 et 80 av. J.-C., un habitat celte subsistait sur la rive gauche du Rhin, à deux kilomètres du Münsterberg. Il occupait une quinzaine d’hectares sur une légère élévation de terrain, dominant le Rhin de quelques mètres. Il devait y avoir des installations portuaires et les habitations se trouvaient au centre de parcelles parfaitement délimitées. La vocation de l’endroit devait être artisanale et commerciale (exportation/importation), comme le prouvent les objets trouvés (amphores, couverts en métal coloré, bracelets en verre) et les traces d’ateliers (fours de potiers, tours à bois…) et de déchets d’objets produits (lignite, fonte, verre…), plusieurs puits profonds, des silos à grains de grande dimension… Des traces de vie cultuelle et religieuse ont été également mis à jour mais jusqu’à présent pas vestiges d’un temple. La ville devait avoir un quartier artisanal et un ou plusieurs quartiers résidentiels. Certaines découvertes (bijoux, poteries) indiquent la présence de personnes aisées.
Voir le Musée des Antiquités de Bâle (richesse exceptionnelle, les livres les plus récents sur la question…) et celui de Châtillon-sur-Seine (Dame de Vix). On se reportera aux ouvrages d’A. Funger-Gunti, ainsi qu’à Trésors celtes et gaulois : le Rhin supérieur entre 800 et 50 avant J.-C., Colmar, 1996 et au petit livre paru chez Theiss (plusieurs auteurs) : Kelten an Hoch-und Oberrhein, 2005, qui fournit une intéressante bibliographie. Les ouvrages sur le sujet et la région sont très nombreux.
(à suivre)