Discret, Alan Kervern n'en a pas pour autant abattu un travail considérable pour la promotion et l'édition du haiku en Europe. Il nous explique ici son parcours et son inscription dans la littérature haikiste mondiale.
FC - Histoire du haïku contemporain : votre livre comble-t-il un manque ? Nul ne s'y était essayé avant vous ?
AK- Un gros travail a déjà été effectué aux États Unis par Donald Keene, Steven D. Carter et surtout William J.Higginson, ou encore , à Tôkyô, par la Modern Haiku AssociatioN. En français, des études ont été faites sur le haïku de l'époque classique par René Sieffert, Maurice Coyaud, Georges Bonneau, mais à ma connaissance, l'aspect contemporain du haïku est très peu traité. Et pourtant, l'histoire du haïku contemporain constitue dans le Japon d'aujourd'hui une véritable épopée, où les questionnements sur la perception du réel en poésie alimentent un courant passionnant d'expérimentations de toutes sortes. Ce bouillonnement de revues,de débats, de créations prend souvent ses sources dans le surréalisme, le marxisme, la psychanalyse..., autrement dit dans les grands courants internationaux de la pensée contemporaine.
FC – Votre approche du haiku est-elle la même que celle de Malo Bouëssel du Bourg ?
AK- Malo Bouëssel du Bourg est d'abord un excellent poète. La musicalité de sa pratique du haïku se situe dans le droit fil de la tradition néo-classique : dix-sept syllabes, une allusion saisonnière, à la fois de la légèreté et de la profondeur, de l'humour, et parfois une césure. Pour ma part, j'avoue être plutôt séduit par un style de haïku plus contemporain, parfois proche du surréalisme, qui n'obéit plus aux règles du haïku classique... mais part du principe que chaque haïku capte un instant unique et irréductible de la réalité. Il doit donc être exprimé dans une forme qui soit elle aussi chaque fois unique. Des poètes contemporains fulgurants comme Kaneko Tôta, Abe Kan'ichi, Natsuishi Ban'ya sont pour moi des exemples…
FC- Est-ce possible pour un Occidental de comprendre « l'esprit du haïku » ? Et que va-t-il avoir du mal à intégrer ?
AK- Je pense que « l'esprit du haïku », tel qu'il nous vient du Japon, c'est d'abord une prise de conscience, celle de la fugacité et de l'intensité de l'instant consciemment vécu. Matsuo Bashô, l'un des fondateurs du genre au XVIIème siècle, définit ainsi le haïku : « La lumière qui se dégage des choses, il faut la fixer avec des mots avant qu'elle ne s' éteigne». Hors Japon, chaque culture, chaque pays adopte le haïku dans cet esprit, mais avec des variantes selon les sensibilités. Jakez Poullaouec, l'auteur d'un joli recueil intitulé « Haïku du Chat » définit ainsi le haïku : « No concept, no affect, only perception ». Nous ne sommes plus très loin du haïku japonais, qui est une conscience au monde passant surtout par le lyrisme des rythmes saisonniers.
FC- Vous faites des conférences dans le monde entier. Quand vous parlez du haïku en Bretagne, qu'en dites-vous ?
AK- Lorsque j'évoque le haïku non japonais, ce sont d'abord les expériences bretonnes que je mets en avant. En effet, le combat pour la reconnaissance et l'épanouissement de la culture bretonne trouve là un terrain privilégié, car la pratique du haïku s'y trouve à égalité avec les autres cultures. Qu'il soit composé en breton, gallo ou français, la pratique du haïku se développe en Bretagne sur des bases proches de ce qui se passe au Québec ou au Japon. Stimulations de toutes sortes, échanges, travail solitaire et dynamique de groupe y sont des facteurs essentiels. Qu'on pense à l'immense succès de l'opération « Taol Kurun » du Pays de Kemperle ou à celle menée par la Cantine Numérique de Rennes...
FC – Existe-t-il une communauté de « haïkistes » en Bretagne ?
AK- La question est peut-être prématurée, mais il est indéniable qu'au vu des échanges et des rencontres, une communauté de haïkistes semble en cours de constitution en Bretagne. Bien qu'épisodiques,on peut ainsi évoquer les échanges entre Nantes, Vannes, Kemperle, Brest entre autres....