Adresse à l'Académie française
Mesdames, Messieurs, membres de l'Académie française,
La Gorsedd de Bretagne célèbre aujourd'hui, 13 juillet 2008, comme chaque année en temps de paix, ses retrouvailles avec ses frères gallois et corniques de Grande-Bretagne. Nous avons décidé de placer cette cérémonie, qui marque le cent soixante dixième anniversaire de la première réception d'un barde breton par les Gallois, sous le parrainage de trois grands écrivains français. Au-delà de leur œuvre, qui fait honneur à la langue et à la culture françaises, ils ont chacun à leur manière rendu hommage à la langue et à la culture bretonnes.
Le premier, Alphonse de Lamartine, a composé en 1838 « Le Toast porté dans un banquet national des Gallois et des Bretons » qui fut lu après la réception de Théodore Hersart de La Villemarqué, premier barde breton reconnu par la Gorsedd de Galles. Ce poème paru dans les « Recueillements poétiques » a inspiré le rite de l'Union de l'épée brisée, que nous célébrons avec nos amis gallois et corniques, chaque année depuis 1899.
Hersart de La Villemarqué est un enfant du pays. Sa famille habite toujours dans la région de Quimperlé où nous nous trouvons cette année. Son œuvre maîtresse est un recueil tiré de la tradition populaire bretonne, le Barzaz Breiz, dont les « diamants » ont été chantés par un autre grand écrivain français, George Sand. Enfin, Auguste Brizeux, autre poète célèbre, a fréquenté le village où nous sommes aujourd'hui, sur les traces de la charmante Marie qu'il a évoquée dans un délicat poème de 1831 qui ravissait les lecteurs de l'époque dans la France entière.
En rappelant ce passé, la Gorsedd entend d'abord occuper toute la place qui est la sienne dans l'histoire des relations interceltiques et dans la construction d'une Europe pacifique, humaniste et ouverte. En évoquant ses origines, la Gorsedd met également en relief les liens fraternels de respect mutuel qui l'unissent dès le début aux grands noms de la littérature française. Il n'y a dès lors, pour elle, aucune contradiction entre l'universalisme revendiqué par la culture française et l'existence volontariste de cultures locales.
Mesdames, Messieurs, membres de l'Académie française,
Vous avez, à l'unanimité paraît-il, adopté il y a un mois, jour pour jour, un texte contre l'inscription dans la Constitution de l'appartenance des langues régionales au patrimoine de la République. L'unanimité de votre position est au demeurant contestée par l'un des vôtres, le Breton Michel Mohrt, qui s'est exprimé sur ce point dans les colonnes d'Ouest France. Et pour cause ! Notre compatriote, en effet, a abondamment puisé dans les richesses de la langue bretonne pour en faire profiter largement les francophones.
Mais permettez-nous de nous pencher avec attention sur les premières lignes de votre texte « Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : « La langue de la République est le français ». Nous ne voyons absolument pas à quelle évidence vous faites allusion car il y a cinq siècles la République n'existait pas, il y a cinq siècles c'était le Royaume de France. Il est vrai que vous devez l'origine de votre institution à un cardinal ministre de cet ancien régime, situation assez peu républicaine puisque vous savez, comme nous, que la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte ! Donc dès le début, votre texte balbutie dans le confusionnisme.
En 1793, par contre, c'est-à-dire 4 ans seulement après sa fondation, la République faisait traduire son acte constitutionnel - donc sa Constitution ! - dans les langues de France, au rang desquelles la langue bretonne. Cette traduction était d'ailleurs suivie de celle de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Ce choix politique s'est apparemment fait dans la sérénité « sans porter atteinte à l'identité nationale » comme le craint votre texte dans un accès hystérique de catastrophisme ! Parlons-nous bien alors de la même République ? Est-elle pour vous avant tout un édifice juridique intangible ou la résultante d'un grand combat émancipateur toujours à conforter et à reprendre ?
Vous avez inspiré le Sénat, semble-t-il, pour qu'il contredise le vote de l'Assemblée nationale. Comme en 1922 et en 1932, sans doute, lorsque le Sénat s'opposait au droit de vote des femmes, si bien que la France a dû attendre 1945 pour que les citoyennes puissent participer à la vie politique et illustrer ainsi un principe, paraît-il fondateur de la République : l'égalité. Il est vrai que de votre côté, Mesdames et Messieurs de l'Académie française, vous êtes entrés dans l'arène politique en 1998 pour contester la féminisation des noms de métiers. Quelle coïncidence ! Quelle lâcheté enfin, de se venger sur les langues régionales de son incapacité à endiguer l'influence grandissante de l'anglais !
Nous terminerons ces propos par une note d'espoir dans l'avenir, confiants que nous sommes qu'on ne défend pas, comme vous, une langue, en contestant à une autre le droit d'exister car nous croyons en l'avènement final de la liberté. Aussi nous citerons la fin du poème d'Alphonse de Lamartine car elle illustre ce que vous peinez visiblement à comprendre : l'ouverture aux autres autrement dit la fraternité !
« Dans notre coupe pleine où l'eau du ciel déborde,
Désaltérés déjà, buvons aux nations !
Îles ou continents, que l'onde entoure ou borde,
Ayez part sous le ciel à nos libations !
Oui, buvons, et passant notre coupe à la ronde
Aux convives nouveaux du festin éternel,
Faisons boire après nous tous les peuples du monde
Dans le calice fraternel !
À Arzano le 13 juillet 2008
Morgan, sixième Grand Druide de Bretagne