Chers camarades, chers amis,
Pour commencer cette journée que nous nous consacrons à nous-mêmes, j’ai choisi de poser une question : qu’est-ce qu’un parti ? D’apparence simple, la question mérite pourtant un peu d’attention tant les partis sont dénigrés de nos jours. Tous ici avez déjà entendu cette petite musique : « je ne fais pas de politique ». Nos sociétés se sont détournées progressivement des partis et des syndicats, jugés responsables de tous les maux. La société s’en porte-t-elle mieux ? Je n’en ai pas l’impression. J’affirme au contraire que c’est justement le manque de politique qui laisse le champ libre à d’autres acteurs que les citoyens. Et que c’est aussi le manque de politique et donc de projet de société qui rend nos compatriotes amer, désabusés… abstentionnistes !
La politique, c’est d’abord la conquête de nouveaux droits. Mais pour conquérir ces droits, encore faut-il se réunir, s’organiser. Or, la liberté de réunion est justement un droit qui a été conquis. Il faut attendre le XVIIIème siècle pour voir fleurir salons et clubs durant lesquels ont germé les idées révolutionnaires. Une avancée qui fut restreinte sous Napoléon avant d’être assortie de déclarations préalables. Ce n’est finalement qu’au début du XXème que cette liberté de réunion se démocratise. Avec elle naissent les partis politiques modernes. Mais que sont donc les partis ? Je propose une première définition : un parti politique, c’est un pan de la société qui s’auto-organise autour d’idées communes. Le parti politique, c’est donc l’autonomie vis-à-vis de l’État, l’auto-organisation de citoyens animés par un même idéal.
Le projet que nous vous présentons ce matin vise donc à définir ce qu’est l’UDB. Pas n’importe quel parti politique, mais bien le nôtre. Notre identité commune. Qui sommes-nous ? Et d’abord quel est notre héritage ? Tous ici avez un jour ou l’autre été traités de « collabo » en référence à la Seconde Guerre Mondiale et au choix d’une poignée de nationalistes. Tous, nous nous obligeons à répondre, à argumenter. Pourtant, nous ne sommes pas les héritiers du nationalisme des années 40. Nous ne l’avons jamais été. Quand l’UDB se créée, en 1964, c’est bel et bien dans une logique de rupture avec l’Emsav traditionnel. Certes, nous revendiquons la reconnaissance officielle du peuple breton, mais c’est bien suite à la guerre d’Algérie que quelques jeunes créent l’UDB. Dans une logique anticolonialiste… pas d’héritage mythique remontant aux Ducs ou même au romantisme du XIXème !
L’UDB est un parti ancien, mais c’est pourtant un parti mal connu des Bretons. Hélas. Tout circule sur son compte : indépendantiste, communautariste, voire terroriste pour certains qui nous confondent avec le FLB. Cette vision déformée de ce que nous sommes use d’autant plus quand elle nous associe à des idées que nous combattons ! Mais rappelons-nous, camarades, que la plupart des habitants de notre propre pays ne nous connaissent tout simplement pas ! Deux manières de réagir à ce constat. La première en désespérant : « Quoi, après 50 ans, nous n’avons pas été capables de nous faire connaître ? ». C’est qu’il est difficile d’être autonomistes dans un État centralisé ! Mais la seconde manière, c’est de se dire qu’on a donc un potentiel gigantesque inexploité ! Et ce matin, mon objectif, c’est de vous donner ou de vous redonner la fierté de militer, le goût de l’engagement, l’espoir de réussir.
Notre parti est petit certes, mais être petit n’empêche nullement de voir grand. Car ce que les anciens de l’UDB appelaient le « problème breton » est en réalité un problème universel. Partout dans le monde s’exerce la domination, partout dans le monde, certaines langues valent plus que d’autres, partout on exploite les faibles au profit des puissants. Notre combat est universel, loin de l’image repliée, étriquée qu’on essaye de nous faire endosser. Nous tenons tout autant d’Emile Masson que de Franz Fanon, de Goulven Mazéas que d’Albert Memmi, de Morvan Lebesque que de Steve Biko. En politique et contrairement à l’adage populaire, on choisit bel et bien sa famille !
Qu’est-ce qu’un parti donc ? C’est un outil ! Un outil au service d’une cause. De qui sommes-nous au service ? C’est là que notre livre apporte des réponses claires. L’UDB est un parti breton, c’est une évidence. Mais est-il nationaliste ? Oui et non. Oui, dès lors que nous pensons que la Bretagne est un pays, que la culture bretonne n’est pas une bizarrerie de la culture française, mais bien une culture propre, que certains de ses habitants se revendiquent d’un « peuple breton » d’où le nom de notre journal. Non, parce que notre conception du « peuple breton » est civique, c’est-à-dire que nous parlons à la société bretonne et pas uniquement à ceux qui se sentent Bretons. À la préférence nationale, concept raciste et grotesque, l’UDB privilégie la préférence locale, c’est à dire qu’elle travaille pour ceux qui vivent sur place, en Bretagne, quelque soit leur nationalité. Discriminations diront certains ? Pourtant, il s’agit simplement de ne pas nous laisser dicter notre conduite par des gens qui ne vivent pas ici, qui n’habitent pas le territoire.
Ce faisant, nous séparons bien la citoyenneté de la nationalité, ce que refuse de faire l’État. Il n’appartient pas en effet à une quelconque autorité de nous imposer une identité. L’identité est un choix personnel et c’est la volonté de construire un projet commun, de « faire société » qui nous importe à nous. De notre côté, il ne nous appartient pas non plus d’imposer une identité à quiconque. On n’est pas Breton parce que l’on vit en Bretagne. On est Breton car on a décidé de l’être ! Il y a donc une démarche d’adhésion, là encore. Mais une adhésion n’est pas obligatoire, elle est choisie… comme pour un parti !
Depuis 1964, l’UDB a toujours prétendu parler à tous. Ce que je vous dis ce matin n’a rien de nouveau. Mais pourtant, le constat est rude : nous n’y parvenons pas… du moins pas encore ! C’est sur cela que nous devons travailler. Car l’UDB a toujours eu une vision civique. C’est cette vision civique qui a permis aux Écossais d’élargir leur base électorale, c’est cette vision civique qui a permis à Gilles Simeoni, en Corse, de gagner les dernières élections, c’est cette vision civique qui permet aux Kurdes, en Turquie, de gagner des sièges au parlement malgré la répression féroce à leur encontre. C’est cette vision surtout qui permet la paix. Et la paix est une condition essentielle au bonheur.
C’est donc au service de la société bretonne que milite l’UDB. Pas uniquement au service du seul peuple breton, quand bien même il est primordial d’en reconnaître l’existence. Chaque citoyen, qu’il soit Breton ou non, peut se reconnaître dans nos idées. S’il est favorable à la diversité culturelle ou naturelle, au partage des richesses, à la démocratisation des institutions… alors, l’UDB lui ouvre les bras !
Mais il en va d’une société comme d’une personne : du fait de son histoire, elle peut être blessée ! Les comportements sociaux s’expliquent. À travers des faits sociologiques, on peut en déduire des traumatismes. Pour s’émanciper, il faut panser les plaies, faire un travail d’introspection pour dépasser ces traumatismes. Ce travail d’introspection, il n’appartient pas à l’UDB de le faire seule. C’est un travail collectif. En Afrique du Sud après l’apartheid, en Allemagne après la chute du mur, en Algérie aujourd’hui, les peuples réfléchissent à certains de leur travers, ce qui a pu expliquer certains comportements.
J’aurais été tenté de dire que la principale faiblesse du mouvement breton est le romantisme. Ceux qui, en réaction au mythe national en pondent un autre, breton celui-là, qui parlent toujours de la Bretagne, mais sans jamais parler du peuple qui l’habite ! Mais à bien y réfléchir, le principal frein à notre épanouissement, chers camarades, c’est la haine de soi, la honte de soi. Cela, tous les peuples colonisés l’ont vécu, tous les auteurs anticolonialistes l’ont décrit, tous les linguistes le constatent. Pour un peu, nous nous excuserions de parler breton ! La légitimité du peuple breton envers cette République qui n’en a jamais fait aucun cas témoigne d’un syndrome de Stockholm sévère. Nous nous angoissons parfois à l’idée d’utiliser ce beau mot « autonomie » alors qu’il est synonyme de démocratie et de responsabilisation. Oui, le peuple breton veut être adulte ! Or, aujourd’hui, ce qu’il se passe en Bretagne, la façon dont on y vit dépend d’ailleurs et cet ailleurs en tire profit. Un seul exemple : nos jeunes sont formés ici, puis quittent la Bretagne pour travailler ailleurs, avant de revenir passer leurs vieux jours sur ce qu’ils continuent d’appeler « leur » terre. Les chiffres de la démographie sont terribles et montrent que notre pays est malade, qu’il est bel et bien « colonisé » de l’intérieur. Non par la France comme le pense certains, mais par l’État comme le disait Morvan Lebesque. Paris nous pompe est une réalité pour l’ensemble des Français.
Qu’est-ce qu’un parti donc ? C’est une micro-société ! À l’intérieur de l’UDB cohabitent plusieurs classes sociales, plusieurs nationalités même. Mais toute cette complexité est réunie autour d’une idée forte : l’autonomie ! L’autonomie, c’est compter sur soi, cela nécessite de la confiance. D’abord faire soi-même ce qu’on peut faire. Mais cela n’exclut nullement la solidarité. Et surtout l’autonomie s’adapte aussi bien aux territoires qu’aux individus. Vous n’avez jamais été étonnés, vous, que l’autonomie soit un concept positif pour les enfants, pour les adolescents, pour les handicapés, les personnes âgées, mais qu’il soit si péjoratif quand il s’agit des territoires ? L’autonomie est un concept universel que la République nationaliste cherche à étouffer. Car l’autonomie est le moyen de l’émancipation et l’État en France, c’est papa !
Pourquoi donc avoir voulu faire un livre ? Parce que nous pensions que le travail intellectuel était insuffisant. Puisque les universités ne semblent pas disposées à travailler pour le peuple breton, il appartient aux partis de créer de la pensée. Je sais bien que beaucoup d’entre vous veulent du concret. Je suis tout à fait conscient que les grands discours vous ennuient. Mais l’idéologie, l’étude des idées, c’est une manière d’indiquer un chemin. Sans idéologie, un parti est un cavalier sans tête ! C’était bien la raison de la rupture des années 60. Sans projet de société, le pragmatisme revient à laisser faire le marché, à nous transformer petit à petit de citoyens en consommateurs.
Notre livre est divisé en 2 parties. D’abord une partie projet. Le projet, c’est notre utopie. Nos références. Le monde que nous voulons construire. Il est lui-même divisé en 3 sous-parties. La première resitue l’environnement dans lequel nous vivons. Car le peuple breton ne vit pas n’importe où. La langue, par exemple, est une émanation d’un environnement donné. L’uniformisation conduit à l’appauvrissement. « La géographie, disait Yves Lacoste, ça sert d’abord à faire la guerre ». Un pays est une carte mentale. Le jour où les Bretons cesseront de considérer que la Loire-Atlantique est bretonne, nos slogans n’y pourront rien, hélas. La Bretagne n’est pas l’ouest, elle ne se résume pas à un point cardinal. Non, la Bretagne, c’est une idée justement. Une idée entretenue par un peuple qui y vit. Et c’est justement l’ambition de la seconde partie du livre : nous définir. Qui sommes-nous et à qui nous adressons-nous ? La troisième enfin décrypte le système économique et social que nous voulons au service de la population et qui permet, comme le disait Lebesque, de rester « nous-mêmes parmi les autres ». « Parmi » car nous ne sommes pas un monde à part. Les territoires sont interdépendants et cela justifie notre combat pour une Europe fédérale, une France fédérale et, qui sait, quand la Bretagne sera vraiment autonome, une Bretagne fédérale.
Nous avons pris le parti de diviser la partie programme, la seconde du livre, de façon thématique. Certains auraient préféré, comme l’UDB le fait durant ses congrès, écrire un texte-fleuve qui permette d’exprimer toute la pensée de notre parti. En divisant en partie thématique, nous savions pertinemment que nous perdrions en profondeur, mais nous gagnerions en pédagogie. Les lecteurs trouveront dans chaque partie du programme une analyse courte qui définit les grands enjeux et prouve que l’autonomie n’est pas une lubie, mais bien une philosophie qui peut être appliquée dans tous les domaines.
En revanche, nous refusons et je refuse le consumérisme actuel qui voudrait que l’on pioche ici ou là les « bonnes » idées ! En gros, la politique serait un camembert où chaque formation aurait une couleur. Pour le PS, en rose, la solidarité, pour le PC, en rouge, le social et les transports, pour EELV, en vert, l’écologie, pour la droite, en bleu, l’économie, pour le FN, en brun, la sécurité ? L’UDB n’est pas un Frankenstein, une compilation d’idées empruntées ici ou là. Non, l’UDB, c’est un projet cohérent car nous pensons que la politique n’est pas sectorielle. Or, un projet s’embrasse complètement. Dans ce livre que nous vous proposons, nous allons voulu montrer le chemin que nous comptons emprunter, la direction vers laquelle nous voulons emmener la société. Si le rêve vous paraît juste ou simplement beau, alors nous avons besoin de vous ! Et dites-vous que, forcément, vous ne serez pas d’accord avec tout. Mais l’UDB tient au « D » de son sigle. « D » pour démocratie. Les décisions se prennent démocratiquement, après un débat de qualité, voilà une exigence sur laquelle on ne peut transiger car il nous appartient d’être le changement que nous voulons voir venir. Il nous appartient de commencer par nous-mêmes…
Si l’UDB existe encore aujourd’hui, c’est parce que le combat qui est le sien n’est pas terminé. Des militants continuent de s’y reconnaître, persistent à croire, contre vents et marées sûrement, que cet outil est le bon. Pendant plusieurs mois, vous avez été nombreux à participer à des réunions de travail pour élaborer ce livre. Au nom de l’UDB, je voudrais vous remercier sincèrement. Car aujourd’hui, nous espérons prouver une nouvelle fois que l’UDB est le parti qui compte en Bretagne… Bienvenue à Plumelin !